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* CHEMIN SCABREUX

 "Le chemin est un peu scabreux

    quoiqu'il paraisse assez beau" 

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Publié par VERICUETOS

Conte : La mystérieuse disparition de J.M. Ballesteros

La mystérieuse disparition de J.M. Ballesteros

Par Gabriel Uribe

 

Matias déjeuna seul à l’hôtel, à une table située dans un coin de la salle à manger. Quelques commis voyageur et petits commerçants, des gens de passage dans la ville, vinrent s’y restaurer vers midi. Matias demeura assis là du début à la fin du service, jusqu’à ce que la salle soit vide, mais à aucun moment le docteur Meneses ne parut. Une femme au visage dégoûtant, aux joues ridées et au regard renfrogné, s’occupait des tables.

Lorsqu’il fut enfin seul, Matias se glissa dans les cuisines. Les deux femmes de service étaient là. Il voulut être sympathique avec la femme aigrie, qui mangeait sur une table collée à la paroi du poêle. Mais la présence de Matias la mettait mal à l’aise. Sans compter que l’autre, la cuisinière, une jeune fille grosse et insouciante, n’arrêtait pas de rôder allègrement partout. Matias continua de parler malgré le mutisme de la femme. Soudain, dans son monologue distrait, Matias nomma J.M. Ballesteros, et la femme, plus aigrie que jamais, fit une grimace de désolation. En regardant vers la grosse jeune fille elle dit, comme si elle parlait à la cuisinière, que l’on ne parlait pas de ce monsieur ici.

- Parlons alors du docteur Meneses – dit Matias.

La femme aigrie le fulmina du regard et resta muette. Puis elle se leva brusquement de la table, laissant son déjeuner inachevé. Matias s’excusa, mais il était trop tard. La femme était partie, la grosse jeune fille le regardait, se tordant de rire. Matias quitta rapidement la cuisine et se réfugia dans sa chambre.

Il essaya de faire la sieste, mais il n’y parvint pas. Il s’ennuya. Il ne savait que faire, comment s’occuper jusqu’à la fin de l’après-midi. Couché sur le lit, ses chaussures aux pieds, regardant le plafond, il tentait de reconstituer quelque chose de semblable à une biographie, un texte qui fut cohérent et où tout tournait autour de J.M. Il trouva la place de certaines informations qu’il avait obtenues, en inventa d’autres, la plus grande partie de l’affaire n’était pas facile à manipuler et finalement se rendit compte qu’il ne pouvait rien faire de toutes ces pièces, c’étaient des histoires tronquées qui s’obstinaient à ne pas vouloir s’emboîter : la veuve, le docteur Meneses, la fille du téléphone, Filipichin et sa voiture collective, le vieux propriétaire noir de l’hôtel et même les deux serveuses étaient à peine les petites pièce d’un tout, tels deux aimants que l’on ne peut rapprocher l’un de l’autre. "Nuestra Señora n'existe pas", pensa Matias.

On frappa à la porte. Matias répondit de son lit : “Entrez”.

Sur le seuil apparut immédiatement le visage énorme de la grosse jeune fille, une tasse fumante à la main.

- C’est l’heure du café – dit-elle, comme si elle donnait une excuse.

Elle s’avança directement vers la table de chevet et y posa la tasse sur le napperon vert près de la lampe qui s’y trouvait. Matias lui demanda si c’était dans les habitudes de la maison d’apporter le café dans la chambre. La grosse jeune fille dit en riant que non. Puis elle réfléchit et, toujours en riant, dit que dans le cas de Matias elle avait pris l’initiative, s’agissant de l’unique client qu’hébergeait l’hôtel. En d’autres temps, les clients allaient à l’heure du café au vestibule pour le boire. C’était comme une réunion, et des personnes qui ne se connaissaient pas ou qui ne se parlaient pas à l’heure du déjeuner conversaient allégrement à l’heure du café.

- Et le docteur Meneses ? – demanda Matias, avec la crainte que la grosse jeune fille parte sur le champ en courant.

La grosse jeune fille tenta d’expliquer la situation de son mieux. Quoiqu’il arrive, le docteur Meneses n’était pas un client, on ne pouvait pas le considérer comme tel.

Matias, en l’écoutant chercher les idées plus que les mots pour le dire, résuma ainsi l’affaire pour la grosse jeune fille : pour tout le personnel de l’hôtel, y compris pour le propriétaire, le docteur Meneses faisait partie du Ritz, comme les meubles ou le bâtiment. La grosse jeune fille fut satisfaite de la définition de Matias, bien qu’elle précise : “Peut-être pas autant que les meubles, mais comme le bâtiment pour sûr. Le bâtiment, personne ne peut le faire bouger d’ici”

- On m’a dit que le docteur avait tué J.M. – déclara abruptement Matias.

La grosse jeune fille, debout, presque collée au lit, figea son regard et cessa de rire. Son visage rond, d’un blanc laiteux et maculé de points noirs, se durcit. Elle regardait Matias comme si elle s’était trouvée beaucoup plus haut.

- Si on se met à écouter tout ce que les gens racontent – dit-elle.

Matias tenta de lui faire oublier ce mauvais moment, sans connaître précisément la raison de son mécontentement. Il l’interrogea sur elle-même, pensant que peut-être par ce biais il apprendrait quelque chose sur les autres, ceux qui l’intéressaient en ce moment, la veuve, le docteur Meneses et surtout sur l’objet de sa mission : J.M. Ballesteros. Il la questionnait comme une enfant : depuis combien de temps elle travaillait ici, d’où était sa famille, ce qu’elle préférait à Nuestra Señora quand soudain, la grosse jeune fille s’assit au pied du lit.

Elle raconta des détails qui n’avaient aucun intérêt pour Matias. Il l’écouta distraitement, plus attentif au goût du café qu’au fil de la conversation et sans cesser de penser que sa mission à Nuestra Señora, si elle continuait ainsi, allait directement droit dans le mur.

La femme était en train de raconter qu’elle dormait en haut, dans la dernière pièce du fond. Matias lui dit, comme en plaisantant, que c’est là-bas qu’il irait lui rendre visite un de ces soirs. La grosse jeune fille rit franchement, sans malice, et lui demanda jusqu’à quand il comptait rester en ville.

- Jusqu’à ce que j’éclaircisse la mystérieuse disparition de J.M. Ballesteros – répondit Matias d’un air arrogant, en soufflant sur son café.

- Alors la vieillesse vous tuera avant – dit la grosse jeune fille, souriant à peine.

Matias, très sérieux, la fixa sans avoir envie de poursuivre la conversation. La grosse jeune fille se leva avec la lenteur d’un éléphant et dirigea ses pas vers la porte en traînant, comme si elle attendait que Matias la rappelle. Mais Matias la laissa partir.

Il occupa le reste de l’après-midi à regarder voler les pigeons dans le parc, respirant l’air sec de cette heure de la journée, pensant à la placidité de la grosse jeune fille, au café qu’il avait bu, et à rien d’autre. Il ne voulait penser à rien d’autre, et surtout pas à J.M., à la veuve ou au docteur Meneses. "Nuestra Señora n'existe pas". Mais en regardant les pigeons, tentant d’anticiper leurs vols entre les palmiers du parc, il ne put s’empêcher d’y réfléchir. Il pensa à J.M., en se disant que si on lui demandait à présent de le décrire, même sans l’avoir jamais vu, il serait capable de le faire immédiatement, sûr de ne pas se tromper. Il pensa à la veuve de Ballesteros, la trouvant maintenant elle aussi énigmatique et pas du tout simplette comme il l’avait cru à première vue. Elle ne portait pas le deuil et semblait désirer de tout cœur que son mari soit mort. Il pensa aussi à la fille du téléphone, se demanda pourquoi elle l’avait envoyé directement à cet hôtel inhabité, aux hôtes occasionnels et se dit que peut-être elle aussi avait quelque chose à voir avec J.M. Avec J.M. ou avec sa disparition ? Il ne savait que penser de tout cela. Il songea finalement à l’hôtel, à la grosse cuisinière, à la serveuse aigrie et au docteur Meneses. Même le vieux noir, qui ne semblait avoir de relation avec rien ni personne, pouvait être coupable. Mais coupable de quoi ? Peut-être que J.M. n’avait même pas disparu et tout cela n’était rien d’autre qu’une agitation sans raison provoquée par l’entêtement du patron de El Imparcial et par son goût pour les chroniques scandaleuses.

Quoiqu’il en soit, pensa Matias avec obstination, pour quelqu’un qui, comme c’était le cas, venait d’ailleurs, n’importe lequel des habitants de Nuestra Señora pouvait être coupable. Mais coupable de quoi, répéta-t-il encore. A l’heure actuelle, il ne savait toujours pas ce qu’il s’était passé.

L’échec de son entreprise se dessina à nouveau à l’horizon. Non, se dit Matias, je ne suis vraiment pas fait pour les grandes entreprises, les investigations journalistiques nécessitent des gens aux dents longues et toi, l’envie de gravir les échelons t’as toujours manqué. Il décida de se punir au plus profond de sa vanité. À peine serait-il rentré, avec une chronique ou avec les mains vides, qu’il demanderait au patron de l’assigner à une place d’auxiliaire aux pages de Deportes. Il lui en expliquerait la raison : grâce au voyage à Nuestra Señora, il avait découvert qu’il n’était pas du tout du bois dont sont faits les fins limiers. Il laissait ce filon si prometteur à d’autres.

Mais à la tombée du jour, pour passer le temps, Matias parcourut les alentours du parc. Il repéra où se trouvait le cabinet du docteur Meneses. Juste à côté de l’hôtel. Il examina sa vieille plaque, qui donnait toutes les apparences de n’avoir jamais été nettoyée : “Médecin Chirurgien”, pouvait-on lire sur le bronze. Il décida d'aller jusqu'au bout. C'est à ce moment-là qu'il se senti pris d'une panique qu'il n'avait jamais ressentie. Une angoisse physique, un spasme dans la poitrine, une soudaine fébrilité. Une porte entrouverte. Matias entre. Dans le corridor règne une lourde odeur de tabac. Les portes qui ouvrent sur le corridor son fermées à clef. Celle du fond, qui donne accès à un jardin, est ouverte. Le jardin est entouré d'un mur. De l'autre côté de ce mur, c'est Hôtel Ritz. "Mais, ça n'existe pas". Il se rendait compte qu'il avait l'aire d'un fou. Non, il en était sûr. Nuestra señora n'existe pas. "L'assassin de J.M. Ballesteros est parti par-là", annonça, derrière Matias, la voix du docteur Meneses.

Gabriel Uribe Carreño (1947), escritor colombiano nacido en Socorro, Santander. Reside en Francia desde 1980, donde trabaja en los planes de formación continua profesional. Su cuento "Al filo de la escritura" apareció en la antología "Cuentos colombianos del siglo XXI" publicada por la editorial Índigo, París (2005) y se tradujo luego al francés en la selección "Sept nouvelles colombiennes du XXI siècle", Ed. EPAL-La Sorbonne-Université Catholique d'Angers, Paris (2008). Su novela histórica Maquiavelo en Verona, fue publicada por la UIS, Bucaramanga (1998), y la novela El último retrato de Cecilia Tovar por Vericuetos-Escargots au Galop, París (2006). Esta misma editorial publicó su novela, FOMINAYA, sobre la época de la Independencia, Paris (2010). El encuentro de Benidorm, novela, apareció bajo el sello Boreal-Narrativa (Auroraboreal.2012) Su cuento "Hay una señora extraña en la cama de mamá" fue publicado en la antología del cuento colombiano El pozo y el péndulo, editada por la revista Odradek y Sílaba Ediciones (Medellín, 2014) En el campo de la biografía escribió NICOLAS MAQUIAVELO: La conducta de los poderosos, editada por Panamericana Editorial, en su Colección Cien Personajes, Bogotá (2006).

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