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* CHEMIN SCABREUX

 "Le chemin est un peu scabreux

    quoiqu'il paraisse assez beau" 

                                        Voltaire 

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Publié par VERICUETOS

Conte : Don Israël, par Kalle Merono

 

Don Israël n’avait jamais vu la mer. Maintenant c’était déjà trop tard, il avait 106 ans. Il quittait rarement la maison. Se débrouiller pour aller aux toilettes tout seul, constituait déjà un parcours de combattant. Il vivait avec ses deux fils, mais bien qu’ils fussent des retraités eux aussi, ils étaient souvent occupés avec leurs propres soucis et le laissaient seul dans son fauteuil tout au long des journées. Le seul qui lui consacrait un peu de son temps était son arrière-petit-fils Felipe. Il lui rendait visite de temps en temps pour lui raconter ce que se passait dans le monde.

- Felipe, dis-moi à quelle distance de la plage on risque de se noyer ?

- La plage à Santa Marta n’est pas très profonde. C’est comme si tu étais assis dans la baignoire et il fait très chaud, répondit Felipe. Il avait entendu cette question au moins une dix fois.

- Et comment on prend l’avion pour aller là-bas ?

- Ah non ! n’y pense même pas. Les médecins t’ont interdit de prendre l’avion parce que ton cœur ne supporterait pas le changement d’altitude.

- Mais c’est comment voler ? Il y a des arrêts pour pause-cigarettes ?

- Grand-père ! De toute façon tu ne peux plus fumer et tu ne peux pas prendre l’avion.

- Felipe, même si je suis les consignes des médecins, je mourrais un jour, exclama Don Israël. Et j’ai vécu dans des montagnes et des brumes tout ma vie. Je n’ai qu’un souhait qui me tient à cœur, et je voudrais le réaliser un fois dans ma vie.

Felipe ne répondit pas. Il fixa son regard vers la fenêtre. Finalement il secoua la tête et mis sa main sur l’épaule de Don Israël.

- Il faut que j’y aille, au revoir grand-père.

- Felipe, ne me laisse pas comme ça. Si je ne peux pas te demander, à qui d’autre pourrais je m’adresser alors. T’es le seul qui me reste.

Felipe ferma la porte derrière lui. Le soir, Don Israël ne voulut pas dormir et, en étant couché dans son lit, son regard suivit les lumières du trafic d’extérieur qui se reflétaient sur le plafond, dans sa chambre obscure.

- Le bruit des vagues, pensa- t-il. Rien à comparer avec le son qu’on diffusa à la télé, disait Felipe. Dans la réalité cela faisait autre chose.

La lumière d’une voiture s’arrêta devant la fenêtre, avec le moteur tournant au ralenti. Quelqu’un ouvrit la porte d’entrée avec une clé.

- Fe…

- Sssssssh, répondit Felipe, Grand-père, ils vont me tuer s’ils se rendent compte de ce que nous allons faire.

Il commença à vêtir don Israël et lui plaça dans le fauteuil roulant. Le vieux ne dit pas un mot. Ils sortirent dans la rue où le taxi les attendait pour le conduire à l’aéroport. Don Israël regarda les lumières des avenues de Bogota, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Les halles d’aéroport étaient immenses avec beaucoup du monde, malgré l’heure tardive, et des avions attendaient sur le tarmac avec les réacteurs vrombissant. Quand ils entrèrent dans l’avion sur la passerelle, il ferma ses mains sur les poignets de son fauteuil, pour ne pas montrer qu’il avait peur. L’avion roula puis décolla. Soudain les immeubles en bas devenaient très petits. Felipe lui avait raconté qu’il aurait mal aux oreilles quand l’avion monterait dans le ciel, mais don Israël avait caché sa flasque d’aguardiente et se soigna. Bogota brillait avec des milliers des lumières dans la nuit jusqu’aux pieds des montagnes. C’étaient des quartiers qu’avaient remplacés les fermes depuis longtemps. Quand il avait commencé à construire son lot dans la périphérie au nord de la ville, il y avait encore des vaches qui broutaient aux alentours. De larges auto- routes formaient des artères, dans les montagnes, qui étaient illuminées par des camions. Mais ce n’étaient pas comme les sentiers d’autrefois, lorsqu’il menait des caravanes des mules, chargées avec de patates et de charbon, pour aller au marché au le petit matin. Ils arrivèrent à Santa Marta à l’aube et prirent un taxi jusqu’à la plage. Don Israël s’impatientait. Il faisait encore nuit et il ne voyait pas bien devant lui.

- Felipe ! C’est la mer, cela ? Je ne vois rien.

Felipe, qui poussait péniblement le fauteuil roulant devant lui, dans le sable, tardait à répondre.

- Mais n’entends-tu pas le bruit des vagues ?

Et Don Israël l’entendit. Ce n’était pas comme dans la télé. Il vit l’écume qu’arriva vers ses pieds.

- Je vais enlever tes chaussures et tes chaussettes pour que tu puisses laver tes pieds, dit Felipe, mais je te préviens ; il fait encore froid. Et ne bois pas l’eau ! Elle est très salée et brûle la gorge.

La mer rinça ses pieds. Le ciel devint rouge vers l’horizon, il pouvait distinguer les contours peu à peu devant lui. Oui c’était cela que Felipe avait dit. Ses pieds baignèrent dans l’eau turquoise.

Ses deux fils et leurs femmes formèrent un demi-cercle devant le lit, où son corps resta couché comme ils l’avaient laissé la veille.

- C’est comme s’il dormait. Il n’a rien senti.

- Regardez, il a un sourire, comme s’il rêvait !

 

 

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