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* CHEMIN SCABREUX

 "Le chemin est un peu scabreux

    quoiqu'il paraisse assez beau" 

                                        Voltaire 

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Publié par VERICUETOS

Pour toujours, Luis Sepúlveda, écrivain chilien, hommage postume

Luis Sepúlveda, écrivain engagé, né en octobre 1949 à Ovalle, au nord de la capitale chilienne de Santiago de Chile. L’auteur avait milité très jeune au Parti socialiste, ce qui lui avait valu d’être arrêté en 1973 par la dictature du général Augusto Pinochet. Il a été emprisonné pendant deux ans et demi et forcé à l’exil, il quitte le Chili en 1977. Il voyage alors à travers l'Amérique du Sud et va vivre pendant un an chez les indiens Shuars, vivant entre la frontière du Pérou et l'Equateur (Haute amazone), afin d'étudier en profondeur, l'impact de la colonisation des ceux-ci. Il fonde des troupes de théâtre dans les pays andins (Equateur, Pérou et Colombie) puis parte en Amérique centrale, notamment au Nicaragua où il participe à la lutte armée au côté de sandinistes. 

Il quitte l'Amérique du sud au début des années 1980, pour s’installer en Europe, d'abord en Allemagne, Hambourg, où il habite pendant 10 ans et devient un grand reporter à Der Spiegel. Il s'installe en Espagne définitivement en 1996. Luis Sepúlveda était l'auteur d'une vingtaine de romans, chroniques, récits, nouvelles et fables pour enfants traduits dans une soixantaine de pays. e Vieux qui lisait des romans d'amour, paru en 1988 et Le Monde du bout du monde, paru en 1996 témoignent de son engagement politique et écologique et lui a offert une renommée internationale. Il militait à la Fédération internationale des droits de l'homme.

Luis Sepúlveda est mort à Oviedo, Asturias, Espagne du Covid-19, le 16 avril 2020. Il avait 70 ans. L’écrivain avait séjourné dans le nord du Portugal du 18 au 23 février pour participer à un festival littéraire et le 25 février de retour en Espagne, apprend qu'il a le Covid.

Ses principaux œuvres, entre autres : Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler, 1996,  Le Vieux qui lisait des romans d'amour, 1988,  Le Monde du bout du monde, 1996, Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre, 1997, Deux idée de bonheur, 2014, La Fin de l'histoire, 2017, et l'Histoire d'un escargot qui découvrit l'importance de la lenteur, 2018. Il a aussi réalisé deux longs métrages pour le cinéma.

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Nous vous présentons un court extrait de l'ouvrage Deux idées du bonheur, paru en français en 2016. C'est une conversation féconde et philosophique entre l'écrivain Luis Sepulveda et Carlos Petrini, un gastronome italien, défenseur du slow food et du "manger local" :

"CP : Nous, à l’Université des sciences gastronomiques, nous avons offert des cours d’apprentissage supérieur dans les matières “artisanales”, les métiers traditionnels liés à l’alimentation comme justement la boulangerie, exactement pour le même motif : aujourd’hui, il y a tellement de diplômés qui ne trouvent plus leur chemin dans la vie, ils sont perdus et à la merci d’une crise économique qui ne les accepte pas et en même temps exige d’eux qu’ils s’adaptent à ses schémas et modèles. Nous devons restituer une dignité, y compris académique, à ces anciens métiers, parce qu’ils sont en train de disparaître et parce qu’ils peuvent être la clé pour donner un sens à tant de jeunes vies, mais surtout à notre avenir à tous. C’est ainsi qu’on forme des personnes meilleures, plus sages, ainsi qu’on développe des communautés, et il n’est pas exclu que, comme ton neveu, ces jeunes, un de ces jours, forts de leur expérience et de leur sens pratique, puissent devenir philologues, philosophes, des intellectuels raffinés. Et ils seront les meilleurs. Par chance, des jeunes qui ont cette détermination à faire quelque chose de pratique, il y en a beaucoup aujourd’hui ; moi je trouve ça fantastique, et je trouve beaucoup plus de sagesse dans un pain bien fait que dans les beaux discours en l’air.

 

LS : J’ai toujours été frappé par le geste, commun partout, surtout chez les plus humbles, de s’asseoir à table et de manger le pain, simplement le pain. Je trouve que ça a quelque chose de sacré. J’ai vécu dix ans à Hambourg, j’étais correspondant de l’hebdomadaire Der Spiegel, j’ai été pour eux en Angola, au Mozambique, au Salvador, etc. J’habitais dans le quartier le plus mal famé d’Hambourg, Sankt Pauli, le quartier du crime et de la prostitution, près du port ; comme souvent, c’est aussi celui des gens les plus vrais, authentiques, humains. J’allais toujours boire une bière et jouer au Skat, un jeu de cartes typique du nord de l’Allemagne, dans la Kneipe, la brasserie, avec les vieux du quartier. Il y avait toujours les mêmes clients qui jouaient, parlaient, fumaient, avec une bière ou un verre de vin. Un de mes compagnons de cartes était un homme de presque soixante-dix ans, Hans, qui possédait une petite boulangerie. C’était pour moi un plaisir énorme d’aller à sa boutique à cinq heures du matin, pour voir comment il travaillait, avec quel amour, pour faire son pain rien que pour le quartier. Il m’expliquait les différents types de graines, de pâtes, les préparations, les temps de levée, et pendant ce temps il travaillait : vingt sandwichs d’un certain type, trente d’un autre… À six heures, il y avait du pain pour tout le monde, qui sentait bon. Et les gens l’emportaient chez eux, au travail, c’était comme une invitation à commencer la journée accompagnée par un peu d’amour et d’expérience.

Jusqu’à ce qu’un jour, Hans annonce qu’il avait la maladie de tous les boulangers, les rhumatismes. Ils sont provoqués par le changement continu de température, la chaleur, le froid, la pâte, l’eau et le mouvement incessant des doigts, des mains. Ainsi, à plus de soixante-dix ans, il partirait à la retraite et aucun de ses enfants ne voulait continuer ce métier terrible, assassin, debout chaque jour à quatre heures du matin pour faire le pain. Donc Hans a organisé une fête, très belle avec un fond de tristesse, durant laquelle il a pétri et cuit ses miches pour la dernière fois : à cette fête, on n’a mangé que du pain et bu que du vin, presque comme pour un sacrement. En même temps, il invitait ses amis du quartier à prendre les objets de la boulangerie.

– J’ai passé plus de cinquante ans à faire ce métier, disait-il. Et le fruit de mon travail a connu beaucoup de cuisiniers différents. Je suis content. Maintenant, si quelqu’un veut quelque chose là-dedans, il peut le prendre et l’emmener chez lui comme souvenir, j’en serai heureux.

Et alors les habitants du quartier ont pris chacun quelque chose, l’un voulait la balance, et un autre avait l’usage d’un outil.

– Et toi, Luis, qu’est-ce que tu prends ? m’a-t-il demandé.

– Donne-moi, si tu veux, la table, celle sur laquelle tu as fait le pain pendant toutes ces années, j’ai répondu.

– Bien sûr, parfait. Si tu me laisses deux ou trois jours pour la nettoyer, je te l’amènerai chez toi.

– Non, non, je l’ai interrompu. Je ne veux pas tu la nettoies, elle me plaît comme ça. Avec ses marques et le parfum du pain que tu as pétri chaque jour.

Aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, cette table a toujours le même arôme : du pain, du sésame. C’est encore la table sur laquelle je travaille. Et il est facile d’écrire sur une table qui contient en elle la magie du pain. Du premier aliment, le plus important.

Ma femme Carmen est poète, trois de ses livres sont publiés en Italie, et parmi ses poésies il y en a une qui me plaît particulièrement, dans laquelle elle raconte l’histoire de son exil juste en nommant les différents types de pains qu’on fait dans les pays où elle a vécu.

Pain

Il n’y a pas un pain

pareil à l’autre.

Pain noir aux sept céréales,

miche blanche, pain au miel, à l’ail et cuit au bois,

pain de Norrland,

pain des terres gelées,

pain de feu,

pain de Chiloé.

Pain extrême de noble pâte.

 

Moi j’ai mangé ce pain.

Des mains d’amour pétrissent la moelleuse consistance.

Pain de froment,

pain de guerre.

Sacré quignon de pain dur

dans la bouche de la faim.

Pain de seigle fumant

enveloppé dans une toile de coton blanc

Pain tribut de la terre

Dernier bon petit plat."

 

Pour toujours, Luis Sepúlveda, écrivain chilien, hommage postume
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