Dans le sanctuaire de la jeune fille Omaira
Traduit de l'espagnol par Marta Ospina Parra,
qui a perdu ses parents et une grande partie de sa famille dans cette tragédie
et Libia Acero-Borbon***
Dans la nuit du 13 Novembre, 1985 - quatre écoulements - des denses coulées de lave, des sédiments, des débris et de l'eau -, ont déferlé sur les pentes du Nevado du Ruiz, ils entrèrent dans la vallée formée par la rivière Lagunilla et ils ont enseveli la ville d'Armero. Quelques heures plus tard, avec les lumières de l’aube, le pilote d'un avion qui assurait le trajet vers Bogotà signalait que la deuxième ville en importance du département du Tolima, avait disparu.
Le calendrier de cet épisode, huit jours seulement après les événements du Palais de Justice, a pris par surprise le pays. Des équipes de secours de villes voisines ont tenté de s’approcher, mais elles ont dû faire face à l'ampleur de la catastrophe: la vaste plaine où existait un jour avant une ville prospère, a été presque entièrement occupé par une boue épaisse et marron de trois ou quatre mètres de profondeur. Les témoignages de ceux qui ont vécu ces premières heures, diffusés postérieurement par des journaux, des émissions de radio et de journaux télévisés, faisaient mention à des «corps et des cadavres innombrables» à des «cris d'agonie de moribonds» à « une odeur de putréfaction » qui envahissaient l’atmosphère, et au « désespoir des survivants » qui ne pouvaient croire ni comprendre ce qui les arrivait.
Après la commotion initiale, la réponse de la part de l'État s'est initiée avec une aide internationale, qui se trouvait concentrée dans une ville du Mexique, qui des semaines avant, avait été secoué par un séisme de 8.1 dans l'échelle de grandeur du moment. Les forces armées, la Défense Civile et la Croix-Rouge ont participé aux opérations, lesquelles ont impliqué l'improvisation des hôpitaux en plein air, des camps temporaires pour les survivants et des volontaires et une gestion peu convaincante de l’approvisionnement et des aides, ce qui reflétait le manque de préparation du pays devant ce type d'évènements. Près de ces opérations, d’autres personnes, des survivants et des parents, basés sur des rumeurs, réalisaient de recherches sur les leurs, ainsi que les médias qui cherchaient, eux aussi, depuis tous les angles à produire des scops et la Une de couverture de journaux.
Huit jours plus tard, les opérations de sauvetage ont été suspendues, commençant ainsi ce qui est pour certains des survivants la « Tragedie d’Armero » : un inventaire des faits postérieurs à la disparition de la municipalité. Le premier d'entre eux, la révélation d'une information qui, lue en rétrospective, permettait d'affirmer que la plupart des 23 000 victimes auraient pu être sauvées par des mesures telles que la destruction d'un barrage naturel dans la rivière Lagunilla dans la zone d’El Sirpe, en ajustant des plans d'évacuation locaux et la volonté politique de mettre en œuvre une action préventive. Ensuite, ils ont fait allusion à des survivants mineurs donnés en adoption à l'étranger sans le consentement des parents ni de la famille - «les enfants d'Armero". La présence dans le lieu du désastre des "Avalanches" qui cherchaient la richesse des bijoutiers, des éleveurs, des chasseurs de trésors et même le coffre de la banque, enterrés dans la boue et les débris, cela est évoqué comme un troisième fait. Quatrième, la relocalisation d’armeritas dans les villages de Guayabal et Lerida, avec d'autres citoyens de différentes régions du pays se faisant passer par des survivants. Et finalement, la transformation successive du scénario de zone du désastre au Camposanto et de Camposanto à celui appelait "Parc de la Vie''.
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À côté de la "tragédie d'Armero'' a émergé, chez les survivants et les voisins, un nouveau espace symbolique qui cherchait à donner un sens à cet épisode. Bientôt la mort du prêtre Pedro Maria Ramirez, le martyr d'Armero, qui a eu lieu peu de temps après le Bogotazo aux mains des habitants de cette municipalité avec fortes racines libérales, ce qui lui a valu le surnom de "village Matacuras''. Ce sacrifice, avec des profondes connotations religieuses et politiques, était pour beaucoup le début d'une malédiction pour la municipalité, le moment où le sort d'Armero a été chiffré, la rupture d'un équilibre avec les forces invisibles et inexplicables.
Il a circulé ensuite la prétendue phrase attribuée à l'évêque d'Ibague, chargé de prendre la dépouille de Pedro María, laquelle se trouvait en veillée par des prostitués de la zone de maisons closes de la municipalité.
On a dit qu'il avait jeté une sentence lapidaire - «Ici Il n'y restera pas pierre sur pierre, et ce qui va détruire Armero est juste en face (le Nevado del Ruiz)" - qui, selon certains a été inscrit d'une manière particulière sur le mur d'entrée de l'Eglise - "ici est tombé le père Pedro Maria Ramirez, victime de blâmes et des outrages de la part du peuple et ici ne restera pierre sur pierre''. L'anathème proféré par l'évêque devenait réel face au fait que de la municipalité, entre la boue, ne sortait que tout juste la tour de l'église, et les quartiers, peu touchés, étaient ceux qui faisaient partie de la zone de maisons closes.
Pour une autre partie de la population, cela a attiré l’attention ce que le cimetière, placé dans la partie haute de la municipalité disparue, serait resté intact : c’est un cimetière qui couronne un Camposanto. Cette curiosité a placé Armero dans une géographie mythique, la géographie de la «sépulture», laquelle lie des histoires populaires puissantes comme Mohàn-guaquero-espagnol-convertit-en-indigène Juan Diaz, les tunnels de richesse qui communiquaient avec la commune voisine de Mariquita, et pourquoi ne pas le dire, avec des rituelles de sorcellerie mises en pratique dans la zone, qui ont conduit à l'exhumation des corps du cimetière d'origine.
Une tragédie qui comprends de nombreuses tragédies, des boucs émissaires sacrifiés, des cimetières avec des cadavres déterrés qui couronnent un camposanto, des mythes populaires qui rattachent la mort et la richesse : ceci est Armero trente ans plus tard. Et dans tout cela: comment une nouvelle sainte ne pourrait-elle pas émerger ?
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Ma mémoire sur la tragédie d'Armero, comme celle de toute ma génération est Omaira Sànchez. Elle, une petite fille de 13 ans, avec un visage rond, qui soutenait sa main droite dans une poutre en bois et étendait le cou en cherchant à maintenir la tête en dehors de la fange. Avec un regard fatigué, des cernes marquées, et la peau avec signes d'une hypothermie prolongée, elle se dirigeait vers les caméras, et avec une voix interrompue et faible, et communiquait avec un journaliste d'accent espagnol.
Ceux qui de l'autre côté de la télévision, nous contemplions Omaira, nous nous posions la même question: pourquoi n’avait-elle pas été retirée de ce bourbier? Avec les heures, ils ont commencé à révéler les difficultés pour réaliser cette extraction. Ils nous ont informés que ses jambes étaient coincées parmi les décombres et les corps de ses parents. Des membres de la Défense civile plongeaient à côté de son corps, et ressortaient en expliquant la difficulté de la situation devant les caméras pendant qu'ils attrapaient une cigarette. L'impuissance des sauveteurs était transmise par les écrans de télévision, et le public qui ne comprenait pas l'ampleur de l'événement, il l’expérimentait comme si c'était le leur.
Comme avec la municipalité, des informations contradictoires ont surgi, aussi. On a dit que pour sauver Omaira, on aurait eu besoin d'une motopompe existante dans la capitale du pays, mais que l'État ne s’était pas mobilisé assez vite. On a entendu aussi qu'il aurait fallu faire appel à la technologie privée pour enlever les décombres, mais que ceux-là avaient sollicité un paiement à l'avance à la présidence. On a mentionné que les médecins auraient pu lui amputer les jambes pour lui donner une opportunité, mais aucun d'eux n’avait pas osé le faire héroïquement. Et devant ces désaccords des informations, aux yeux des Colombiens perplexes, le 16 novembre 1985, Omaira périt.
Dans ces presque soixante heures, nous observons une petite fille se donner de l'espoir dans continuer avec ses jeux scolaires, avec les désirs d'être reine de beauté à Carthagène, qui gratifiait les efforts des secouristes amis et qui peu à peu prenait conscience du dénouement de sa vie et de son destin, laquelle elle acceptait avec une profonde sérénité et grande humilité. Devant la télévision nous l’avons vue devenir une femme, brisée par la mort.
Des années après, je me trouve dans la route que Mariquita communique avec Ibagué. Mon intérêt à l'Expédition Botanique du Nouveau Royaume de Grenade, raison par laquelle je me trouve au milieu de ces plaines coupées par la Cordillère des Andes, s'est tourné aux événements de 1985. Omaira vient à ma mémoire pendant que je traverse Armero-Guayabal à vitesse moyenne et, près de la route, un espace vert longitudinal avec de terrains et des jeux d’enfants dans un mauvais état, est identifié comme "le Parc Commémoratif Omaira Sanchez".
Minutes plus tard, un panneau en blanc et marron, de ceux que depuis plusieurs années sont utilisés pour afficher les sites d'intérêts aux voyageurs, nous annonce que l’on rentre dans le lieu des événements. De chaque côté de la route, on observe les ruines de quelques édifices enterrés et consommés par la végétation : C’a dû être l'une des hautes parties de la municipalité originale. Pendant que, je ralentis la vitesse de la voiture, plus de constructions apparaissent, et des vendeurs à la sauvette s’approchent du véhicule pour m'offrir le DVD édité, qui synthétise l'événement arrivé, il y a 30 ans.
À ma gauche, au milieu de l'une de ces constructions, un écriteau peint marque l'existence d'un musée : c'est une salle d'exposition permanente de photos de la vie quotidienne d'Armero, accompagnés des témoignages de certains de ses survivants, plusieurs desquels sont le fruit du travail de la Fondation « Armando Armero. » Les photos mettent en évidence la prospérité de la municipalité, de son importance, de ses usages et de coutumes, lesquels étaient évidemment similaires à ceux-là d'autres populations de cette région du Tolima. Les images donnent un présent à l'épisode, l'actualisent, envahissent le visiteur et le "situent" : la vie s'est arrêtée cette nuit de novembre.
Des mètres plus loin une autre plus grande palissade annonce le "Parc de la Vie". Son entrée est une route large et débouchée au milieu de la futaie. En se laissant porter par cette route nous trouvons les seuls éléments uniques et différents de ruines et les tombes du "Parc". L'une d'elles, l'iconique croix où le 6 juillet 1986, le papa Juan Paul II s'est agenouillé et a prononcé sa fameuse prière pour la population disparue, cette même qui commence ainsi : ''Père céleste, par qui nous procède tout le bien, reçois avec compassion dans ton sein miséricordieux à tous nos frères ici ensevelis par la force de la nature...''. Cette même prière est offerte, dans des versions abrégées et étendues, par quelques vendeurs, qui se présentent comme "survivants", en guise d'un souvenir touristique, près des boissons pour éteindre la soif au milieu de la chaleur.
En plus de la croix, il existe une construction de quatre piliers, lesquelles se joignent dans la hauteur, en faisant une circonférence qui laisse voir le ciel. Chaque pilier dispose d'une reproduction en relief, lesquelles révèle un rapprochement, un zoom de la municipalité dans les moments qui ont précédés l'avalanche qui l'a ensevelie. Déjà en ce lieu, les vendeurs offrent comme "des guides" improvisés pour "faire le parcours par l'Armero". Outre ces deux constructions, le paysage d'arbres et de mauvaise herbe est interrompu par la coupole de la tour de l'Église, par des monuments en mémoire de la population - au nom des syndicats, des quartiers et des municipalités colombiennes et étrangères-, par des croix et les dalles qui rappellent des parents dans les lieux où des mètres sous la boue déjà durcie, supposent qu'ils se trouvent, en générant une carte invisible de la municipalité. Je suis cette carte, à laquelle il s’ajoute le parcours du "Parc", qui se trouve structuré comme un simple anneau routier. Dans chaque pas, la sensation de la vie arrêtée sous mes pieds augmente.
Il est midi. La chaleur, la sueur, les piqûres de moustiques et cette étrange sensation font la longue promenade peu agréable. Cependant, je ne peux pas partir sans connaître le lieu où Omaira est décédée, le lieu de ma mémoire sur Armero.
Un écriteau collé à un arbre indique que je suis à quelques mètres du "Sanctuaire de la petite fille Omaira". La première chose qui attire l'attention du lieu est la quantité de visiteurs, certains même arrivent en marchant depuis la route. Des parlants qui pendent dans les maisonnettes improvisées, on entend le même accent espagnol avec les informations de l’époque, en rappelant ce moment-là, les efforts pour la sauver, la sensation d'impuissance. En ces maisonnettes des souvenirs mortuaires s'offrent avec la photo classique d'Omaira, la prise de Frank Fournier, qui a fait le tour du monde et était récompensé en 1985, ainsi comme après avoir fini la décennie. Il y a des almanachs, des porte-clefs, des scapulaires, des images, des colliers, entre beaucoup d'autres choses, ainsi que la "Neuvième de la Petite fille Omaira" que l'on peut acquérir par deux mille pesos. Omaira m'observe depuis tous les angles.
De murs couverts d'actions de grâce autour de la plaque originale montrent l'efficacité de la "Neuvaine", Existent des actions de grâce de toute espèce : pour les maladies, pour le travail, pour la chance et même pour libération de la séquestration - Alan Jara, gouverneur du département du Meta et ex-séquestré des FARC, a visité la petite fille Omaira et a placé son action de grâce respective. En plus de celles-ci, on peut observer des constructions comme une petite maison pour placer les bougies, des cages métalliques avec un Enfant Divin, la Vierge du Carmen ou des poupées « Omaira », ainsi comme un caisson où sont déposées les demandes écrites faites à la petite fille. Pendues et attachées aux barres de cages et des croix, se trouvent des scapulaires, des colliers, des bracelets et encore des poupées.
D’après les vendeurs, "la petite fille ne manque pas". Au milieu du tumulte, un homme affirme que "A la petite fille, ils vont la sanctifier en 2015, dans les trente ans d'Armero, quand le Pape François viendra". Devant cette affirmation sérieuse, les uns décident d'acheter la neuvième, les autres écrivent sa demande et la déposent dans la caisse, certains achètent un collier ou un bracelet qu’ils procèdent à l’attacher. Une autre voix, cette fois féminine annonce que "Omaira sera la deuxième sainte après Laura".
La « petite fille Omaira » est une sainte populaire efficace, tant et si bien que, devant l'évidence de certains miracles, l'Église Catholique a pensé l'adopter. Avec chaque nouvel anniversaire, ce sont plus d’hommes, des femmes et des familles qui affirment être bénéficiaires de son intermédiation. Et ces notes sont transmises par des journaux aussi bien locaux que nationaux, en augmentant les visites au Sanctuaire. Le lieu s'est converti encore à un lieu de pèlerinage, en concurrence avec Chiquinquirá, Monserrate, Buga, Las Lajas et plusieurs autres lieux de notre géographie religieuse.
L'accent espagnol qui sort des parlants me fait revenir d'une brève période d'introspection. Il est midi. Le soleil s’écrase sur ma peau exposée aux piqûres de moustiques. Je sens quelques gouttes de sueur qui coulent par mon corps dans la chaleur intense du midi. L'impression de la vie arrêtée sous mes pieds devient très inconfortable. Des centaines d'Omairas continuent de m'observer.
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La sanctification populaire d'Omaira est seule l'une des conséquences multiples des événements du 13 novembre 1985. La dite sainteté surgit, d'une part, de cette transformation de petite fille innocente à une femme consciente, brisée par la mort, de la résignation et l’acceptation de sa destinée, ce qui se trouve enraciné dans le plus profond de notre catholicisme.
Mais d'autre part, de par sa condition de martyr. Une martyre produit par l'inefficacité de l'État, qui est évident dans la "Tragédie d'Armero" et de l'impossibilité de disposer d'une motopompe; de l'incapacité des Colombiens d'être tolérants - comme dans le cas de Pierre Marie Rodríguez-, ou solidaires - comme l'exprime la rumeur du prêt de la technologie ou l'incapacité des médecins; et finalement, comme victime innocente d'une malédiction de ses ancêtres.
Le culte à Omaira est une forme de faire face à notre condition humaine. C'est l'une de tant de manières de trouver un sens aux anomalies de notre société.
Il y a trente ans la vie s'est arrêtée dans Armero. Probablement, comme beaucoup d'autres années, une pluie de pétales de fleurs tombera dans le "Parc de la Vie" en imitant la cendre des jours préalables aux événements déjà évoqués.
C'est alors que nous saurons si le deuxième Saint Pape visitera ce lieu.
Et que nous saurons si la "Petite fille Omaira" sera sanctifiée
Et que nous saurons si la "Neuvaine" sera canonique.
Cette même "Neuvaine" que j'ai acheté, au cas où.
Version en espagnol : http://www.vericuetos.fr/2015/11/en-el-santuario-de-la-nina-omaira.html