Poésie de Julio Carrasco, poète mexicain
Nos Amis.....
Ils sont si indispensables dans la vie,
Ils nous estompent la solitude d'être
dans la prison de notre corps,
dans cette atmosphère latente de l'ego,
pour nous sentir dans un abandon mental.
Ils résistent patiemment à la distance et à l'oubli,
Nous en fréquentons certains plus souvent
sans perdre le fil de leur existence,
d'autres perdurent dans l'hibernation de nos souvenirs,
entre pupitres et travaux imaginaires
soirées interminables, diversions hebdomadaires
En évoquant des confessions et en caressant des secrets.
Certains garnissent l'exercice de la raison
d'autres nous les limitons au sentiment passé.
Ceux là sont les puits de l'insupportable malheur,
tout comme les complices des bonheurs passagers.
Et avec enthousiasme ils donnent des ailes à nos projets.
Il y a des amis qui ont changé la boussole et l'horloge,
sans horizon, d'autres nous les avons perdus pour toujours,
soit par amertume ou pour chacune des sépultures.
Quand je pense aux êtres aimés de l'enfance
à ceux de la jeunesse, sans demeure permanente,
Ou à ceux que nous rencontrons par des signes du destin,
plus encore, ceux qui furent comme des étoiles....
Je pense aussi à ceux qui n'ont jamais existé
de par leur propre condition, se refusant le plaisir d'être
au travers de l'amitié.
Mes frères.....Les victimes
Combien de millions de pauvres victimes tombent
chaque année comme les feuilles du calendrier.
Et impuni s'impose le sacrificateur,
bourreau qui n'a pas de géographie.
Et l'histoire démolit leur mémoire,
cynique, elle occulte leurs tombes clandestines.
Pauvres orphelins mutilés n'importe où
Femmes anonymes en fleur macérées,
Hommes pleins de vie aux tiges coupées,
Avec leurs rouges souffrances ils forment des gués
de sourdes lamentations et des échos gémissants,
descendent inconnus à l'océan indifférent,
couverts de silences troubles et obscurs.
Réalité perverse qui amoindrit les philanthropies,
des mornes tribus monétaires,
de celles qui troquent cruautés pour sinécures.
Aujourd'hui que les vertus sont des demeures concaves,
que s'accumulent moins de vivres et de joies.
Et ceux d'en bas soutiennent ceux de toujours,
avec l'âme coupée par la faim,
avec le coeur fendu par la balle.
Quelle rage pour l'injuste geste humaine
vides de libertés, pleins de verrous,
elles, les victimes, griffent à tâtons l'espoir,
certaines survivent, d'autres avec la douleur sur le dos.
La plupart disparaissent dans le lointain.
Le point et la ligne
Chaque fois que je commence un tableau
je chevauche avec des spatules le désert blanc
cherchant l'ombre du premier trait
et en le voyant je me transforme en sorcier.
De la lumière et de la couleur je cherche ce que je veux,
mes élans émergent des paumes de ma main
Les pigments humides couvrent des formes sans réserve.
Je suis la ligne fraîche, ferme ou sinueuse qui vient de naître,
je vibre sans laisser la piste de la tâche perdue.
Je marche, je vole, je navigue le pinceau à la main;
Le regard fixe, j'apparais, je guette,... je devine
ce que le pouls donne vie aux formes,
celles....qui naîtront sans hâte.
Et les images apparaissent attrapant ma journée.
Je découvre inquiet tel un enfant ce qui est né,
comme si la muse séductrice m'avait pressé
le coeur et la raison d'une étrange ambroisie
pour m'offrir sans pudeur une nouvelles fantaisie.
Mais parfois de grandes tourmentes m'assaillent,
me couvrant d'épais doutes, croûtes d'incertitude,
remplissant de poussière, je vole et je navigue le pinceau à la main;
Je cherche alors à pétrir la ligne avec les yeux,
jusqu'à trouver ce point, comme un charbon la flamme,
avec cette envie dont j'avais l'intuition au début.
En face de mon ombre
Je suis allé de l'avant
comme un absent
qui traîne ses attentes
de visage ou de croix
avec son âme et son corps,
sans dépit ni désir d'oubli
escamotant les souvenirs
et poursuivi par mon ombre...
qui jamais ne se repose.
Seul avec mon karma
désirant des reliefs de paysages
sur la croûte de ma vie....
celle que j'ai partagée,
celle que garde en leur musée
d'émotions, ceux qui veulent m'aimer
ceux qui en aimant ont aimé.
En face de mon ombre
qui parfois est à la traîne
mais jamais ne m'abandonne.
Certaines se déguisent en stèle
d'autres en voile qui me pousse,
à crier des syllabes en songes vaporeux,
à oublier des enthousiasmes ridés,
d'autres encore à m' inventer des crédos
sur l'amour et la démocratie
entre doute et certitude
de me retrouver dans chaque
tableau, mural ou poème.
J'ai été sans trop y penser
en laissant des peaux, des fêlures, des idées
des vérités, des amours et des combats;
Et Chronos ne me tente
ni ne m'effraye de cesser de vivre
avec cette nécessité
de deviner les pièges de mon ombre;
Partout sautent
des serpents et des escaliers;
Et comme toujours
en face de mon ombre
j'essaye de rayer
le passé.
Et que le présent
ne fracture pas ma vue
ni le bonheur prêté
alloué à l'amour ou à la démocratie
pour rencontrer la blancheur d'un drap, d'une toile...d'un mur.
Des mots
Des mots, mots
congelés dans des murs
qui camouflent des assassinats
dans les ruelles de ta mémoire
érodées par les mensonges.
Les syllabes ont changé en balles
tes mouvements désarticulés.
Il semble que ton poing
ait des yeux et tes doigts
épient les duperies.
Aujourd'hui nous achetons les vérités
et moi je ne demande pas l'aumône.