Le « Nadaïsme » en deux vers de X-504, Maître de la Poésie colombienne
Paris, le 06 mars 2015.
Textes et traductions de Efer Arocha.
Le « Nadaïsme » est un courant historique de la poésie colombienne qui a en partie bouleversé les coutumes et la sphère intellectuel comme ce fut en Mai 68 en France. Pour Vericuetos, c’est un plaisir de découvrir pour les lecteurs de poésie, certains poèmes de Jaime Jaramillo Escobar.
Ci-dessous, vous pouvez trouver un échantillon de ses œuvres.
RUEGO A NZAMÉ
Dame una palabra antigua para ir a Angbala,
con mi atado de ideas sobre la cabeza.
Quiero echarlas a ahogar al agua.
Una palabra que me sirva para volverme negro,
quedarme el día entero debajo de una palma,
y olvidarme de todo a la orilla del agua.
Dame una palabra antigua para volver a Angbala,
la más vieja de todas, la palabra más sabia.
Una que sea tan honda como el pez en el agua.
Quiero volver a Angbala!
JE PRIE NZAMÉ
Donne-moi un mot antique pour aller à Angbala,
avec mon tas d'idées sur la tête.
Je veux les jeter se noyer dans l'eau.
Un mot qui me serve pour être noir,
et rester un jour entier au-dessous d'un palmier,
et tout oublier au bord de l'eau.
Donne-moi une parole antique pour retourner à Angbala,
la plus vieille de toutes, la parole la plus savante.
Une qui soit si profonde comme le poisson dans l'eau.
Je veux retourner à Angbala!
Ruego a Nzamé
El cuerpo
Aviso a los moribundos
La cena de los muertos
Coplas de la muerte
Maneras de gastar el tiempo
El atardecer
Llenos de nada
Perdidos perdidos
Síntesis
Prière à Nzamé
Le corps
Avis aux moribonds
Le dîner des morts
Des chants de la mort
Façons de gaspiller le temps
L'après-midi
Se rassasier de rien
Perdus perdus
Synthèse
EL CUERPO
Qué farsa! J. P. Sartre
He aquí, de esto se habla.
El cuerpo nos goza y lo sufrimos.
Lujo de la Naturaleza, pagamos por él nuestra alma.
Esclavo de los dioses, el hombre es un ser aterrado,
y sólo en el usufructo de su cuerpo deposita su aspiranza.
Su cabeza añadida luce su conversación como un pavo real,
y sentado en un tapete de luna su lengua salta delante de sí como una serpiente encantada.
Orgullo del alma, el cuerpo es regocijo y alimento,
y baila ante los dioses como el árbol frente a la tormenta.
"Rosa", decimos, y la rosa es un mito del alma, porque la carne del cuerpo no se reconoce sino a sí misma.
El cuerpo, Devorador, todo hecho para devorar,
el alma de este cuerpo no puede ser sino también devoradora.
Somos un surtidor, con nuestros brazos que se agitan y nuestra boca llena de agua.
Tenemos lo que tiene la nube, he aquí esta adivinanza, por eso la tierra nos absorbe.
Rebelión de la materia, el cuerpo se avolcana, se incendia, impone hermosura, y no queremos ser sólo cuerpo.
Pero yo aconsejo: hazte amigo del sepulturero.
LE CORPS
Quelle farce! J. P. Sartre
Voici, de ceci on parle.
Le corps jouit de nous et nous le souffrons.
Luxe de la Nature nous payons pour lui notre âme.
Esclave des dieux l'homme est un être terrifié,
et seulement dans l'usufruit de son corps il dépose son aspiration.
Sa tête rallongée éclaire sa conversation comme un paon,
et assis sur un tapis de lune sa langue saute devant elle comme un serpent enchanté.
Orgueil de l'âme, le corps est joie et aliment,
et il danse devant les dieux comme l'arbre en face de l'orage.
« Rosa », nous disons, et la rose est un mythe de l'âme, parce que la viande du corps ne reconnaît qu’elle.
Le corps, Dévoreur, fait complètement pour dévorer,
l'âme de ce corps ne peut être que dévoreuse.
Nous sommes un jet d'eau, avec nos bras qui s’agitent et notre bouche pleine d'eau.
Nous avons ce que le nuage possède, voici cette divination, pour cette raison la terre nous absorbe.
Rébellion de la matière, le corps semble volcanique, il prend feu, impose une beauté, et nous ne voulons pas être corps seulement.
Mais je donne le conseil suivant: deviens ami du fossoyeur.
AVISO A LOS MORIBUNDOS
A vosotros, los que en este momento estáis agonizando en todo el mundo:
os aviso que mañana no habrá desayuno para vosotros;
vuestra taza permanecerá quieta en el aparador como un gato sin amo,
mirando la eternidad con su ojo esmaltado.
Vengo de parte de la Muerte para avisaros que vayáis preparando vuestras
ocultas descomposiciones:
todos vuestros problemas van a ser resueltos dentro de poco,
y ya, ciertamente, no tendréis nada de qué quejaros, ¡Oh príncipes
deteriorados y próximos al polvo!
Vuestros vecinos ya no os molestarán más con sus visitas inoportunas,
pues ahora los visitantes vais a ser vosotros, ¡y de qué reino misterioso y
lento!
Ya no os acosarán más vuestras deudas, ni os trasnocharán vuestras dudas e
incertidumbres,
pues ahora sí que vais a dormir, ¡y de qué modo!
Ahora vuestros amigos ya no podrán perjudicaros más, ¡oh afortunados a
quienes el conocimiento deshereda!
Ni habrá nadie que os pueda imponer una disciplina que os hacía rabiar, ¡oh
disciplinados y pacíficos habitantes de vuestro agujero!
Por todo esto vengo a avisaros que se abrirá una nueva época para vosotros
en el subterráneo corazón del mundo, adonde seréis llevados solemnemente
para escuchar las palpitaciones de la materia.
A vuestro alrededor veo a muchos que os quieren ayudar a bien morir,
y que nunca, sin embargo, os quisieron ayudar a bien vivir.
Pero vosotros ya no estáis para hacer caso de nadie,
porque os encontráis sumergidos en vosotros mismos, como nunca antes lo
estuvierais,
pues al fin os ha sido dado reposar en vosotros,
en vuestra más recóndita intimidad, adonde nadie puede entrar a perturbaros.
Vuestro suceso, no por sabido es menos inesperado,
y para algunos de vosotros demasiado cruel, como no lo merecíais,
mas nadie os dará consolación y disculpas.
De ahora en adelante vosotros mismos tendréis que hacer vuestro lecho,
quedaréis definitivamente solos y ya no tendréis ayuda, para bien o para mal.
Os ha llegado vuestro turno, ¡oh maravillosos ofendidos en la quietud de
vuestra aristocrática fealdad!
Tanto que os reísteis en este mundo, mas ahora sí que vais a poder reír a todo
lo largo de vuestra boca,
¡oh prestos a soltar la carcajada final, la que nunca se borra!
Yo os aviso que no tendréis que pagar más tributo,
y que desde este momento quedáis exentos de todas vuestras obligaciones.
¡Oh próximos libertos, cómo vais a holgar ahora sin medida y sin freno!
Ahora vais a entregaros a la desenfrenada locura de vuestro esparcimiento,
no, ciertamente, como os revolcabais en el revuelto lecho de vuestros amantes,
sino que ahora seréis vosotros mismos vuestro más tierno amante,
sin hastío ni remordimiento.
Apurad vuestro último trago de agua y despedíos de vuestros parientes, porque
vais a celebrar el secreto concilio
en donde seréis elegidos para presidir vuestra propia desintegración y vuestra
ruina definitiva.
Ahora sí que os podréis jactar de no ser como los demás, pues seréis únicos en
vuestra inflada podredumbre.
¡Ahora sí que podréis hacer alarde de vuestra presencia!
Yo os aviso
que mañana estrenaréis vestido y casa, y tendréis otros compañeros más
sinceros y laboriosos,
que trabajarán acuciosamente día y noche para limpiar vuestros huesos.
Oh vosotros que aspiráis a otra vida porque no os amañasteis en ésta:
yo os aviso que vuestra resurrección va a estar un poco difícil,
porque vuestros herederos os enterarán tan hondo,
que no alcanzaréis a salir a tiempo para el Juicio Final.
AVERTISSEMENT AUX MORIBONDS
À vous qui en ce moment agonisez dans tout le monde :
je vous avertis que demain il n'y aura pas de petit-déjeuner pour vous;
votre tasse restera immobile dans le buffet comme un chat sans maître,
regardant l'éternité de son œil émaillé.
Je viens de la part de la Mort pour vous avertir d’aller préparer vos
décompositions occultes :
tous vos problèmes vont être bientôt résolus
et déjà, certainement, vous n'aurez rien de quoi vous plaindre: Oh princes
abîmés et proches de la poussière!
Vos voisins ne vous dérangeront plus avec leurs visites inopportunes,
et désormais vous serez les visiteurs , et de quel royaume mystérieux et
lent !
Vos dettes ne vous poursuivront plus, ni vos doutes et vos incertitudes qui vous enlèvent votre sommeil,
donc maintenant en effet vous allez dormir, et de quelle manière !
Maintenant vos amis ne pourront plus vous nuire, oh heureux ceux que la connaissance a déshérité!
Il n’y aura personne pour vous imposer une discipline qui vous faisait enrager, oh
habitants pacifiques et disciplinés de votre trou!
Pour tout cela je viens vous informer qu'une nouvelle époque sera ouverte à vous
dans le cœur souterrain du monde, où vous serez solennellement portés pour écouter les palpitations de la matière.
Autour de vous j’en vois plusieurs qui veulent vous aider à bien mourir,
et qui, cependant, n'ont jamais voulu vous aider à bien vivre.
Mais vous n'en êtes plus à faire cas de quiconque,
parce que vous vous trouvez submergés en vous-mêmes, comme jamais vous ne l’aviez été,
puisque à la fin il vous a été donné de reposer en vous,
dans votre intimité la plus secrète, où personne ne peut entrer vous perturber.
Votre succès est d’autant moins inespéré qu’il n’est pas su,
et est pour certains d'entre vous trop cruel, comme vous ne le méritiez pas,
plus personne ne vous donnera de consolations et d'excuses.
Dorénavant vous-mêmes devrez faire vos lits,
vous serez définitivement seuls et n'aurez aucune aide,
pour le meilleur ou pour le pire.
Votre tour est arrivé, oh victimes admirables dans la tranquillité de votre laideur aristocratique !
Tant que vous restez dans ce monde, maintenant en effet vous allez pouvoir rire tout du long de votre bouche,
oh prestes à lâcher l'éclat de rire final, celui qui ne s'efface jamais!
Je vous avertis que vous n'aurez plus à payer aucun tribut,
et qu’à partir de ce moment vous êtes exempts de toutes vos obligations.
vous restez libérés de toutes vos obligations.
Oh prochains affranchis, comme vous allez maintenant reposer sans mesure et sans frein !
Maintenant vous allez vous livrer à la folie effrénée de votre épanchement,
non, certainement, pas comme vous vous vautriez dans le lit confus de vos amants,
mais maintenant vous serez vous-même votre plus tendre amant,
sans dégoût et remords.
Hâtez votre dernière pinte d’'eau et adieux à vos parents, parce que
vous allez célébrer le concile secret
où vous serez choisis pour présider votre propre désintégration et votre ruine définitive.
Maintenant en effet vous pourrez vous vanter de ne pas être comme les autres, puisque vous serez uniques dans votre pourriture enflée.
Maintenant en effet vous pourrez faire l'étalage de votre présence !
Je vous informe que demain vous étrennerez vêtement et maison, et vous aurez d'autres compagnons plus sincères et laborieux,
qui travailleront diligemment jour et nuit pour nettoyer vos os.
Oh vous qui aspirez à une autre vie parce que vous n‘avez pas pris plaisir à celle-là:
je vous informe que votre résurrection va être un peu difficile,
parce que vos héritiers vous enterreront tellement profondément,
que vous ne parviendrez pas à sortir à temps pour le Jugement Final.
LA CENA DE LOS MUERTOS
Al acostaros,
no dejéis la leche ni el pan sobre la mesa:
atraen a los muertos.
Rainer María Rilke
Los tiernos muertos vienen a beber en mi vaso,
y silenciosamente rondan en mi aposento,
alargando sus tímidas trompas hacia los panes
que apenas sí se atreven a rozar con los dedos.
Penetran por el hueco de la llave uno a uno,
evitando en la sombra tropezar con las lámparas,
y van mañosamente a ponerse a la mesa
donde les he dejado: leche, pan y una carta.
El pan se desharina en sus dedos temblones
y la flecuda lengua lame el fondo del vaso,
con presurosa angustia disputando las sobras
que el frío soplo del viento sobre el mantel esparce.
Entrada la mañana, al volver a la estancia,
corriendo las cortinas para abrir las ventanas,
cuando la sombra vuela hacia el día como un pájaro,
sobre la mesa encuentro intocada la carta.
LE DÎNER DES MORTS
En vous couchant,
ne laissez pas le lait ni le pain sur la table :
ils attirent les morts.
Rainer María Rilke
Les tendres morts viennent boire dans mon verre
et silencieusement ils rôdent dans ma chambre,
ils tendent leurs trompes timides vers les pains
et c'est à peine s'ils osent les découvrir de leurs doigts.
Un à un ils pénètrent par le trou de la serrure,
en évitant dans l'ombre de trébucher sur les lampes,
et se dirigent adroitement vers la table
où je leur ai laissé : lait, pain et une lettre.
Le pain se désagrège dans leurs doigts tremblant
et la maigre langue lèche le fonds du verre,
avec une angoisse pressée en recherchant les restes
que le souffle froid du vent disperse sur la nappe.
Rentrée le matin, en retournant au salon,
écartant les rideaux pour ouvrir les fenêtres,
quand l'ombre vole vers le jour comme un oiseau,
sur la table je trouve la lettre intacte.
COPLAS DE LA MUERTE
La Muerte me coge el pie,
yo la cojo del cabello;
si se queda con mi pie,
me quedo con su cabeza.
La Muerte me coge un brazo,
yo la agarro con el otro;
cuando amanezca estaremos
dando vueltas en redondo.
Si la Muerte entra a mi alcoba,
me arrojo por la ventana;
y si sale y me persigue
corro al río y me echo al agua.
Si me encuentro con la Muerte
¡qué susto le voy a dar!
Le diré que en la otra esquina
me acaban de asesinar.
Para que nunca me encuentre
la muerte, aquí me le escondo.
Si les pregunta por mí,
digan que no me conocen.
COUPLETS DE LA MORT
La Mort me prend le pied,
je la prends par les cheveux;
si elle garde mon pied,
je garde sa tête.
La Mort me prend un bras,
je la saisis de l'autre;
quand il fera jour nous serons
en train de courir en rond.
Si la Mort entre dans mon alcôve,
je me jette par la fenêtre;
et si elle sort et me poursuit
je cours à la rivière et me jette à l'eau.
Si je me retrouve nez à nez avec la Mort
quelle frayeur je lui vais donner!
Je lui dirai qu'à l'autre croisement
on vient de m'assassiner.
Pour que jamais ne me trouve
la mort, ici je me cache.
Si elle vous demande de mes nouvelles,
dites que vous ne me connaissez.
MANERAS DE GASTAR EL TIEMPO
El empresario que lo gasta en fabricar cosas, dice a las gentes que lo gasten
ellas en consumir sus cosas.
No hay sucesión de días, sino el mismo día que se repite, y por eso los
antiguos afirmaron que el tiempo no existe.
Pero el sacerdote nos pide devolvérselo a Dios, que es su legítimo dueño.
Y los autores de libros quieren que lo empleemos en leer lo que todos ellos
han escrito.
Y los productores de cine nos dicen que la imagen es lo único que merece
nuestro tiempo.
Y los músicos creen que no nos va a alcanzar el tiempo para escuchar toda la
música que se ha compuesto.
Pero los agentes de viajes ponen avisos en las revistas diciendo que viajar es la
mejor manera de gastar el tiempo.
El gobierno cree, sin embargo, que la patria es la única acreedora de nuestro
tiempo, con derecho y ley.
Pero nuestra amada, nadie como ella para creer tener derecho a nuestro
tiempo.
Hasta nosotros mismos pensamos en disponer de un poco de tiempo, el día
que nos sea posible.
MANIERES DE DÉPENSER LE TEMPS
L'entrepreneur qui le dépense pour fabriquer des choses dit aux gens de le dépenser en les consommant.
Il n'y a pas succession de jours mais le même jour qui se répète, et c'est pourquoi les antiques ont affirmé que le temps n'existe pas.
Mais le prêtre nous demande lui de le rendre à Dieu qui est son légitime propriétaire.
Et les auteurs de livres veulent que nous l'employions à lire tout ce qu'ils ont écrit.
Et les producteurs de cinéma nous disent que l'image est l'unique chose qui mérite
notre temps.
Et les musiciens croient qu'il y aura assez de temps pour écouter toute la musique qui a été composée.
Mais les agents de voyages publient des annonces dans les revues en disant que voyager est la meilleure manière de dépenser le temps.
Le gouvernement croit, pourtant, que la patrie est l'unique créditrice de notre
temps avec le droit et la loi.
Mais notre aimée, personne comme elle ne croit avoir autant droit à notre temps.
Nous-mêmes pensons disposer d'un peu de temps, le jour où cela nous est possible.
Et mon père m'a dit qu'il ne le dépensait pas, mais qu'il le gardait pour l'éternité.
EL ATARDECER
Para Jorge Valencia Jaramillo
El día va muy bien, cuando de pronto,
empieza a atardecer.
Es una hora indefinida que parece
una mañana al revés.
El horizonte retrocede
oculto por la luz que va menguando,
y entonces lentamente
la noche va llegando.
Tu corazón te avisa que se acerca
la hora presentida
en que desaparece poco a poco
la última luz del día.
El reloj se equivoca al dar las seis,
que antes fueron las seis de la mañana,
pobre reloj de doce horas
sin campanario y sin campana.
Las luces que se encienden
para oponer al día noche mágica
no tienen el misterio de las oscuras noches
felices y nostálgicas.
Noches falsificadas que han perdido
el miedo original de lo insondable,
y en ellas se renueva de algún modo
el pavor y el temblor de haber nacido
en este extraño mundo, pese a todo,
pleno de gracia y de sentido.
En esa luz opaca
que en la tarde declina
tus recuerdos acechan en la sombra
que es nueva cada día,
hasta que al fin rendida
en la muerte termina.
El día va muy bien, cuando de pronto
tu corazón te avisa que se acerca,
oculto por la luz que va menguando,
vago presentimiento,
y entonces
lentamente
la noche
va llegando.
LE COUCHER DE SOLEIL
Pour Jorge Valencia Jaramillo
Le jour va très bien, quand soudain,
il commence à tomber.
C'est une heure indéfinie qui ressemble
à une matinée à l'envers.
L'horizon recule
occulté par la lumière qui est en déclin
et alors lentement
la nuit approche.
Ton cœur te prévient que s'approche
l'heure pressentie
à laquelle disparaît peu à peu
la dernière lumière du jour.
L'horloge se trompe en indiquant six heures,
qui ont aussi été six heures du matin,
pauvre horloge de douze heures
sans clocher et sans cloche.
Les lumières qui se sont allumées
pour opposer au jour la nuit magique
n'ont pas le mystère des nuits sombres
heureuses et nostalgiques.
Nuits falsifiées qui ont perdu
la peur originale de ce qui est insondable,
et en elles on renouvelle en quelque sorte
la crainte et le tremblement d'être né
dans ce monde étrange, mais malgré tout
plein de grâce et de sens.
Dans cette lumière opaque
qui dans l'après-midi décline,
tes souvenirs guettent dans l'ombre,
nouvelle chaque jour,
jusqu'à finir dans la mort.
Le jour se passe très bien, quand soudain
votre cœur vous dit qu'elle s'approche,
cachée par la lumière qui est en déclin,
un vague pressentiment,
et puis
lentement
la nuit
Elle arrive
Le Nadaïsme en deux vers
Un des objectifs de la revue Vericuetos est de faire découvrir aux lecteurs de poésie français des poètes reconnus par leurs qualités dans la langue espagnole. Aujourd’hui, nous avons choisi Jaime Jaramillo Escobar, barde colombien qui est un des grands de la nation sud-américaine et qui est en pleine activité créatrice.
Il réside actuellement à Medellin, ville enchanteresse pour profiter de la vie, notamment par son climat qui est un perpétuel printemps dans lequel sa flore s’épanouit et où habitent différentes espèces d’oiseaux. Les services publics sont d’excellente qualité et on y trouve tout ce que les villes développées requièrent. Avec ce poète, j’ai visité certaines bibliothèques de la centaine dont dispose le centre urbain. Une de leurs fonctions est notamment d’abriter des ateliers de poésie. Le poète en dirige un depuis longtemps à la Biblioteca Pública Piloto, la plus importante de la ville. La métropole recense 700 poètes qui aspergent de vers les fissures et les craquements de la cordillère des Andes. De plus, elle accueille le festival mondial du genre. Dans un milieu poétique si exigeant, il en est la figure au sommet.
Il est venu au monde à Pueblorrico le 25 mai 1932. Il déambula ensuite par d’autres villages avant d’arriver à Andes où il y fit son secondaire et la connaissance du poète le plus étrange aussi bien qu’original, Gonzalo Arango, un camarade de classe. Remarquons que l’Amérique du sud est la terre de l’inexplicable. En réalité, Arango n’était pas seulement poète mais quelque chose de plus: un prophète de la poésie et de la vie. La décennie des années soixante s’écoulait, tous ceux qui ont lu ses écrits ont immédiatement reconnu qu’il était un authentique prophète, le meilleur d’entre eux, qui traitait uniquement du terrestre et du profane. Sa force résidait dans son apologie de l’interdit, ses prêches se proposaient de briser tous les cadenas et les serrures en commençant par la morale, jusqu’à libérer le corps de toutes ses inhibitions via le plaisir des organes sensoriels. Pour soutenir sa thèse, il a écrit un manifeste poétique, « le Manifeste Nadaïste ». Pour pouvoir comprendre ou se former une idée de l’œuvre de Jaime Jaramillo, qui est apparu dans le monde des lettres sous le nom X504, il faut se pencher, ne serait-ce qu’un bref instant, sur le mouvement dont il est question dans le manifeste.
TERMINOLOGIE
Le terme Nadaïsme est dérivé du substantif Nada qui signifie « Rien ». Gonzalo Arango dans son Terrible 13 Manifiesto Nadaista exprime: “Vous autres moralistes, rationalistes et autres esthètes vous interrogez : Et au-delà de l’horizon de la folie, quelle est réellement la fin du nadaïsme ? Ce à quoi nous répondrons : Le nadaïsme n’a pas de fin, s’il en avait une il se serait déjà effondré. » En apparence, il faut comprendre ce point de vue à travers le prisme de l’absence de toute finalité, il n’y a pas d’objectif. Néanmoins, l’énoncé correspond à la manière de présenter l’essence de ce qui est selon son auteur la pensée centrale, celle qui est enveloppée dans un contenu empirique qui se transforme en catégorie signifiante, au sens philosophique.
La catégorie nada offre aujourd’hui des interprétations diverses: tout d’abord celle des physiciens atomistes intuitifs et des philosophes matérialistes Ioniens qui soutenaient que tout espace est l’expression d’un contenu macro ou microscopique où le Rien n’a pas sa place. De notre côté, nous dirons que le Rien est l’absence de phénoménologie, telle que décrite par Fichte : apparition et extériorisation du principe du savoir ou comme le dit Hegel, objet et conscience. Néanmoins, il existe une autre interprétation assimilable à la catégorie Nadaïsme. Il s’agit du Néant dans lequel se sont plongés nombre de philosophes. Martin Heidegger et Sartre nous disent que la limite de l’Etre s’établit à partir de ce qui existe. Le même Hegel suggère que la négativité du Néant se manifeste dans les multiples plans du réel.
On peut ainsi établir une pensée philosophique ou une littérature comparée intéressante, il s’agit d’unifier, de mettre en relation ou établir une parenté entre Nadaïsme et courants de pensée européens, ou inversement. En principe une lecture rapide révèle les points qui permettent un ancrage et une porte d’entrée ; l’interprétation philosophique du Nihilisme affirme que rien n’existe de manière absolue, négation de toute réalité substantielle ce qui se traduit sur le plan social par le rejet et la négation de toutes les valeurs en commençant par celles de la morale. Le Nihilisme trouve ses racines dans la Russie tzariste comme mouvement politique puis se popularise à travers la littérature. Ivan Tourgueniev avec sa nouvelle « Pères et Fils » de 1862 le met à la mode tandis que Flaubert est un des initiateurs du courant dans la littérature française.
Le Nadaïsme dans la poésie est de son fait même, pensée; à travers les vers il est métaphore, poème; dans l’action que nécessite son existence, il est porteur d’un élément contradictoire qui s’oppose à la pensée philosophique, ce depuis l’instant même de sa naissance. Remarquons que la poésie est bien plus ancienne que la philosophie. La raison de cette contradiction réside dans le fait que les deux disciplines tentent d’expliquer le monde. Antagonisme qui existe aussi avec la religion pour les mêmes raisons. Néanmoins, le nadaïsme va plus loin, il est le défi direct à l’establishment, à la tradition et à l’ensemble des valeurs sociales. Comme on peut le constater dans des citations du manifeste déjà évoqué: « nous nous masturbons avec sadisme et brutalité et à cet acte solitaire, nous consacrons un amour pur et schizophrène… nous avons bu des verres acérés qui bruleraient les cinq estomacs de la vache et feraient fondre les puissantes entrailles du vautour… nous avons fait la louange des pédérastes qui s’embrassent à la lumière du soleil en défiant les sexes et la rougeur des policiers, gardiens de la morale publique… nous avons supporté la misère avec une haine implacable du capital, mais nous ne travaillons pas parce que le travail est un attentat contre la poésie et la dignité humaine… ». Dans ce qui précède, le lecteur peut se former une idée du caractère radical qui tranche d’un seul coup avec tous les codes présents de la Colombie et de l’Amérique latine. Attitude sans précédent dans le mouvement poétique de cette région du monde et non embrassée par les modernes ou plus localement par les piedracielistas pour ne mentionner que deux exemples.
Le Rien qu’utilisent les nadaïstes, comme catégorie de rupture et en tant qu’outil de destruction, s’oppose au tout, qui dans ce cas se révèle être la société colombienne de son temps, un pays pastoral, pauvre et clerical du XIXème siècle au beau milieu du XXème siècle. Les actes ou métaphores antireligieux étaient blasphématoires et sacrilèges comme le prouve l’anecdote de la cathédrale de Medellin où ils perdirent presque la vie pour avoir méprisé l’hostie en pleine messe au moment de la communion. Il est nécessaire de rappeler qu’aujourd’hui la Colombie est un pays très avancé en matière de critique religieuse. Il suffit d’évoquer le cas de Alejandra Azcárate, une jeune fille ravissante qui apparait nue, crucifiée mais vêtue d’un voile avec lequel elle tente de couvrir ce que les hommes désirent voir, l’instrument n’est pas là pour dérober mais pour attirer les regards de tous les lecteurs de la revue colombienne SoHo ce qui n’a scandalisé personne, alors que sous d’autres latitudes, des religions sans bornes propagent sans vergogne la mort pour ceux qui n’en sont pas les adeptes.
LE POETE
La première fois que j’ai entendu le nom du poète, pas son nom à proprement parler mais son pseudonyme, nous allions à la mairie de Bogota pour inscrire notre candidat présidentiel préféré, Goeneche, qui aspirait à être le premier président sidéral et dont le programme écologique comprenait le pavement du puissant fleuve Magdalena, principale artère fluviale de Colombie.
L’après-midi entamée, nous avons commencé la première réunion de campagne avec l’homme de la Flamme, qui avait pour habitude de monter en un clin d’œil à la vitesse d’un coléoptère au clocher de l’église de Las Nieves. Spectacle qui interrompait le trafic de la rue numéro 7 et bientôt le parc se remplissait pour assister à la persécution policière et à l’échappatoire de l’arachnide si attractif. La personne qui devait inaugurer les discours des orateurs ne devait être autre que le poète le plus indiqué du moment, X504, étudiant de l’université nationale selon ce qui se disait à la mairie et que la commission de campagne n’avait trouvé nulle part sur le campus. Face à l’absence du poète, un étudiant de médecine aux surnoms variés, parmi lesquels « manos de seda » parce qu’il était chargé des finances des publications clandestines et parce qu’à chaque fois qu’il était nécessaire, il montait dans les bus des quartiers bourgeois et en redescendait les mains pleines de stylo Parker et de portefeuilles, inaugura la réunion par la lecture d’extraits du Manifeste nadaïste ou quelque chose du genre. « Nous croyons énormément dans la sainteté du crime et avons crucifié sur des autels de sang nos vierges pour que reviennent Attila, Néron, Erostrate, Judas et tous les assassins de l’Histoire… »
Nous étions alors à l’époque des débuts de la conquête de l’espace avec Spoutnik, Laïka, les voyages sur la Lune. La première idée que je me suis fait du poète X504 était celle d’un corps véloce, musclé, à la voix forte et tout ce qui correspond à un rebelle géant et qui excite la curiosité de le voir à une certaine distance. C’est une relation intéressante de valorisation d’un lien, celui entre le nom et le nommé qui reflète une anticipation purement psychologique sans fondements, qui exprime la subjectivité émotionnelle via l’imaginaire, ce qui dans la vie réelle ou dans la littérature est magnifique.
Quand j’ai eu le plaisir de le rencontrer à l’occasion de mon dernier voyage en Colombie, ma surprise fut totale. Rien à voir avec le personnage que j’avais préconçu. Le poète est une personne au parlé doux, affable et transparente, son humanité fragile et brumeuse ressemble à son œuvre, il est la continuation physique de ses poèmes. Il ne ressemble à aucun autre nadaïste que j’ai aussi connu. Elmo Valencia, au corps muisca, le plus nadaïste de tous selon ses amis, n’a rien de matériel ; il m’a été présenté dans un café de Bogota par mon ami Hugo Correa Londoño, animateur de l’atelier García Márquez. Eduardo Escobar, au squelette robuste tel Cochise, passe sa vie à parler de son prochain avec des paroles qu’il lance en l’air comme des bulles de savon. Je l’ai rencontré au paraíso, où il se repaissait des plaisirs des dieux grecs, celui de Bacchus étant son préféré. La rencontre s’est faite dans un village de Cundinamarca où m’a emmené Magil, l’unique rêveur qu’il reste à la littérature colombienne et qui partage les idéaux des anciens campagnards. Jota Mario Arbeláez, qui a une coiffure de duc créole ainsi qu’un port et des manières exquises; je l’ai vu pour la dernière fois à une présentation d’un livre des conjurés en compagnie de Gonzalo Márquez Cristo et d’Amparo Osorio, mondains et bons poètes; l’événement s’est déroulé dans les coin culturels du Gimnasio Moderno.
D’autres nadaïstes authentiques ou proches ont été ou sont encore : Amílcar Osorio, Darío Lemus, Fany Buitrago, María de las Estrellas, Alberto Escobar Ángel, Fernando Lalinde, Fernando Gonzáles, Paulus Gallinasus, Mario Rivero, Germán Espinoza, José Manuel Arango, Rafael Vega Jácome Alejandro Cote et Giovani Quessep…
REGARD SUR L’UN DE SES POEMES
Une particularité de l’œuvre poétique de Jaime Jaramillo Escobar, est la multiplicité des axes qui la soutiennent. Un de ceux qui a retenu mon attention par sa simplicité et sa façon diaphane de la construction métaphorique, est le traitement qu’il donne à la versification des choses de la vie quotidienne. Thème beaucoup abordé dans la poésie intimiste mais pas de cette manière dans la poésie dont la matière se trouve en dehors du personnel et se projette au contraire dans le social. Cette caractéristique est flagrante dans le poème Maneras de gastar el tiempo.
Le titre, à lui seul, renvoie le lecteur au langage familier, au déroulé commun de la vie quotidienne. Nous ne pointerons ici qu’un seul contenu du titre, qui a aussi la fonction d’un vers. Le titre est par essence antipoétique, phrase banale du torrent du langage populaire utilisée des millions de fois. Le poème milite et fait partie de la rupture de la nouvelle poésie latino-américaine. Il fait sauter la majorité des canons de la poésie classique qui méprisait le vocable de la langue orale, alors que ce dernier est à l’origine de la vie de la langue. Thème sensible pour les théoriciens de la poésie actuelle.
Le premier vers nous dit:
“El empresario que lo gasta en fabricar cosas, dice a las gentes que lo gasten ellas en consumir sus cosas”. (Le patron qui passe son temps à fabriquer des choses, dit aux gens de passer le leur à les consommer).
Ce vers est une source qui a des portées dans plusieurs directions et qui tout comme le titre, est une phénoménologie de la vie ordinaire. La méthode de poésie comparée offre une coïncidence irréfutable avec l’anti-poème de Nicanor Parra, thème suffisamment riche pour nourrir le sujet d’une conférence.
Le vers, séquencé par la césure, offre au lecteur deux hémistiches différents mais consécutifs. L’unité est présente tout au long du vers et a des fonctions distinctes mais une même essence, le temps. Un fabriquant consomme son temps à fabriquer des choses, alors qu’un acheteur le consomme à acheter les choses du fabricant. Ces faits sont évidemment anti-transcendants. Par conséquent, quelle est l’importance des succès communs dans la poétisation ? Sommes-nous simplement en présence de vers qui manquent de valeur et qui interrogent de cette façon ? Fournir une réponse serait intéressant mais sort du cadre principal du poème, à savoir le temps.
Le vers établit uniquement l’idée de la perception temporelle ; une des manières d’être du temps, dans sa manifestation directe accessible aux organes des sens. L’homme commun a seulement accès au temps par association phénoménologique, c’est l’idée de relation avec soi-même, le moi singulier et ce même-moi avec les autres choses. Sa propre existence et l’existence des autres choses sont liées à la quantification en secondes, minutes, heures et ainsi de suite. Nous le nommons temps empirique parce qu’il est expérimenté directement par le sujet, en particulier l’homme actuel, par le fait même de vivre ce qui est inconcevable sans l’environnement des choses. Le vers nous renvoie aussi au temps de l’économie de la société de marché ; comme production et comme critique sociale, le temps étant celui de la consommation et de la politique. Jusqu’à présent le poème a avancé de deux pas, le premier avec le titre et le second avec le premier vers tissant et créant la facture du poème, évoluant dans un temps qui est à la portée de tous par sa simplicité et son caractère saisissable.
Le second vers est une véritable audace du poète. Il nie carrément l’existence du temps ou établit un temps qui oblige l’intervention de l’intellect à fond.
« Il n’y a pas de succession de jours mais le même jour qui se répète, et pour cette raison les anciens ont affirmé que le temps n’existe pas ».
Le vers comprend une véritable confrontation gnoséologique qui renvoie immédiatement à deux sources distinctes de la connaissance: la connaissance logique et la connaissance esthétique. Il surmonte le temps empirique du premier vers. Le questionnement que pose le vers est un terrain inexploré, aussi bien par les esthètes que par les penseurs.
Le temps de la poésie se distingue du temps philosophique parce qu’il n’est pas cognition i.e. abstraction de la réalité ou expérience de celle-ci. Le poème n’est pas pensée, il accède à la connaissance par une voie distincte, il est un acte sensible étranger à la raison comme principe du savoir. Sa relation avec la réalité est un acte sensible et non pas réflexif, là réside la différence.
Le vers nous dit qu’il n’y pas de succession de jours mais le même jour qui se répète indéfiniment, ou tout au moins jusqu’à ce que se donnent les conditions pour que nous comprenions ce qu’on entend par « jour ». Le jour est pour le vers le noyau du temps, le centre de l’univers, parce qu’il est la répétition perpétuelle qui conduit nécessairement à ce que tous les phénomènes de la réalité se déroulent en lui. Le phénomène de répétition sans aucun changement fait que le jour est unique et seulement unique. Ce qui est illogique pour un penseur est la vérité pour le poète. Comme nous le remarquions, le poète opère selon sa sensibilité, il ne voit pas avec les yeux mais possède un regard distinct sur le monde, qui lui permet de voir toute une réalité temporelle qu’il est seul capable à englober dans une métaphore. Voyons cela et arrêtons-nous sur le fait suivant : « ceux qui sont nés l’ont été pour ne pas naître ». Affirmation qui en principe est un contre-sens ; néanmoins la poésie démontre le contraire. Des millions et des millions d’êtres humains qui sont à cet instant éparpillés sur le globe n’auront aucun registre de mémoire, c’est-à-dire que personne ne saura rien sur eux donc personne ne pourra les connaître, et personne n’a pu les connaître. Obscure destin pour la majorité de l’humanité, autant penser au soldat numéro 47 de l’armée de Charlemagne, le jour de sa première bataille. Personne ne peut s’en former une idée. De là, l’être humain n’est parfois pour la poésie qu’un être à la condition dérisoire.
LE TEMPS DES PHILOSOPHES
Pour les philosophes, le temps est un des problèmes majeurs de la discipline du fait qu’il est une catégorie déterminante pour expliquer le monde. Par son objectif, la philosophie converge avec la poésie et la religion qui ont le même but, influencer la pensée de l’individu. Que la majorité des poètes l’ignore ou ne se le propose pas est une autre histoire. Depuis l’antiquité, les philosophes ont analysé le temps et en ont formulé une explication. Pour Parménide d’Elée, le temps est nature : « L’Etre est, le Non Etre n’est pas. L’Etre n’est pas créable, il est impensable, immobile et éternel » Pour Héraclite, le temps est une réalité indissociable de la nature. Platon voit dans le temps l’image mobile de l’univers éternel. Aristote nous dit que le temps est la force des choses et la force de la vie qui circule dans la nature.
Dans la modernité, malgré l’avancée colossale de la science et de la technique, la philosophie a bien peu avancé en ce qui concerne la conceptualisation du temps, bien que la physique ait démontré son caractère relatif. Nous relèverons seulement quelques penseurs, étant donné que ce travail n’est pas un essai sur le thème.
Kant dans sa « Critique de la raison pure », présente le temps comme la raison pure. Bergson le considère comme le mouvement naturel de la conscience. Husserl qui a écrit tout un texte sur le temps, intitulé « Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps », le définit poétiquement dans l’un de ses apartés: le temps est un paradoxe qui ressemble à la résonnance du son.
Martin Heidegger, le ponte du problème, fait une analyse dans son œuvre « Etre et temps » depuis plusieurs angles dont nous retenons celui où il affirme qu’il ne s’agit pas de penser le caractère naturel du temps mais la nature et le temps comme temporisation.
De notre côté, nous dirons seulement que jusqu’à présent le temps, qu’il soit commun ou intellectuel, présente des lacunes. Nous relèverons quelques points pour une meilleure compréhension de la relation entre poésie et philosophie.
La première caractéristique du temps est son infinité, il n’a ni commencement ni fin. Cela se prouve en sachant que la nature n’a pas eu d’origine ni dans l’infiniment petit, à l’échelle atomique et au-delà, ni dans l’infiniment grand, à l’échelle des galaxies. Quant à la théorie du Big-Bang, du premier instant de la création de l’univers, qui est une hypothèse d’un modèle cosmique, nous la réfutons sans beaucoup d’effort grâce à l’aporétique (système philosophique d’antan) comme l’ont fait dans l’antiquité ceux qui critiquaient le sophisme, l’agnosticisme et le scepticisme. L’aporie magnifique du bâton, instrument pédagogique auquel Derrida recourut pour arriver à l’autonomie de l’élève, résout deux interrogations à la fois, commencement et fin. « Un aveugle avec un bâton part chercher la frontière de la nature, il marche dans une seule direction et trouve un bord, il continue de marcher jusqu’à trouver une autre limite et ainsi de suite dans l’éternité sans jamais trouver la fin ». L’aveugle trace son chemin d’une limite à l’autre. La théorie du Big-Bang fut proposée pour la première fois en 1927 par Georges Lemaitre, religieux belge. Stephen W. Hawhing, héritier de la chaire de Newton Oxford, a adhéré à l’ascension des religions et a récemment reconnu son erreur.
Nous nous arrêterons sur un deuxième aspect concernant la compression du temps. Il n’est pas nature, n’est pas matière, il est le moyen par lequel la nature existe. C’est-à-dire : la nature, pour pouvoir être en essence, ne peut pas l’être en dehors du temps car elle est temporalité. Temporalité qui détermine une nouvelle catégorie, l’espace. Toute phénoménologie de la nature, quelle qu’en soit l’échelle, occupe un espace. Un exemple de lieu dans l’espace, l’espace du corps de Hawhing.
Très bien, en termes poétiques, où réside ce temps complexe ? Prenons l’exemple d’un Haïku: « Les sécateurs/ sont restés muets/ devant la beauté/ de la fleur ». Dans ce poème, il est évident qu’il y a plusieurs espaces et temps constitutifs de la structure versificatrice. Néanmoins, il y en a un qui est l’essence même du texte. Celui qui exprime le silence, un mutisme présent en dehors du vers, que l’on trouve dans l’évocation des ciseaux et de leur action de couper.
Œuvres publiées
Poemas de la Ofensa (1968)
Extracto de poesía (1982)
Cien poemas de Geraldino Brasil (1982)
Sombrero de Ahogado (1983)
Poemas de tierra caliente (1985)
Selecta (Antología 1987)
Alheña y Azúmbar (1988)
Prose
El ensayo en Antioquia (2003)
Barba Jacob para hechizados (ensayo 2005)
Método fácil y rápido para ser poeta (2005)
Prix
Premio nadaísta de poesía Cassius Cley, 1967
Premio nacional de poesía Eduardo Cote Lamus, 1983
Premio nacional de poesía Universidad de Antioquia, 1983